A une époque où l’on s’interroge sur les liens entre l’effondrement de la biodiversité et l’apparition du virus de la Covid 19, il est utile de rappeler qu’il existe, pour les défenseurs de l’écologie, de nombreux facteurs susceptibles d’expliquer la disparition croissante des espèces vivantes. Que l’on évoque les modes de production, les faiblesses du droit et des institutions, l’essor des techniques, la démographie, la pauvreté… les motifs d’inquiétude ne manquent pas et il apparaît très difficile de les hiérarchiser. Pourtant face au développement sans précédent des technologies numériques, il est intéressant de se pencher sur les rapports existant entre la production des techniques et la consommation des énergies.
1. Le Paradoxe de Jevons.
Williams Stanley Jevons, économiste et philosophe des sciences anglais du 19ème siècle, a mis en lumière, dans son ouvrage « La théorie de l’économie politique », un paradoxe à propos de l’amélioration des techniques et de la consommation des ressources. Son observation, en pleine période d’essor industriel, montre que plus une technique augmente l’efficacité avec laquelle une ressource est employée, plus la consommation de cette ressource s’accroît. Autrement dit ce qui permet de mieux réguler l’exploitation d’une ressource, ou d’une énergie, conduit, dans bien des cas, à en augmenter l’usage. Le paradoxe de Jevons conserve son actualité auprès de nombreux écologistes car il montre les aspects désastreux du progrès technologique, pourtant censé résoudre les problèmes liés à l’environnement. D’une façon plus générale le paradoxe de Jevons met l’accent sur la contradiction entre la maîtrise technique des ressources et les comportements qu’elle génère chez les êtres humains. Ainsi les capacités de régulation des ressources et des énergies, qu’elles soient matérielles ou informationnelles, semblent systématiquement contrecarrées par une dérégulation des comportements individuels et collectifs eu égard à l’usage de ces ressources.
2. Une question anthropologique.
Lorsque l’on écoute ou lit des scientifiques soucieux de comprendre les périls écologiques qui nous menacent et d’évaluer les moyens d’y faire face, on est, parfois, frappé par le pessimisme de leur propos. Des chercheurs engagés dans une réflexion sérieuse sur l’effondrement de la biodiversité peuvent faire part de leur perplexité devant les comportements des humains quant leur usage inconsidéré des technologies mises à leur disposition. Ainsi un ouvrage mené par des écologues éminents et traitant d’une sixième extinction de masse des espèces vivantes laisse entrevoir peu de solutions pour empêcher un effondrement de la biodiversité (« Biodiversité : vers une sixième extinction de masse » Raphaël Billé ; Philippe Cury ; Michel Loreau : Virginie Maris.). La question anthropologique de la soumission grandissante des êtres humains aux artefacts qu’ils ne cessent de produire et de multiplier, n’est pas nouvelle et a fait l’objet de réflexions philosophiques célèbres. Elle se pose néanmoins avec acuité à la lumière du paradoxe de Jevons, vieux de plus d’un siècle et témoignant d’un aveuglement persistant quant au rapport entre le développement technique et l’usage incontrôlé des ressources.
3. Une question d’actualité.
Le paradoxe de Jevons trouve une excellente illustration avec le débat sur le développement et l’extension de la 5G sur le territoire national. Le problème écologique principal est celui d‘une gestion considérablement améliorée des flux d’information débouchant sur un usage décuplé des échanges informationnels avec la dépense d’énergie qui l’accompagne. D’un point de vue écologique cela semble plus grave que les maux causés par l’installation de nouvelles antennes.