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Quels sont les possibles face à l’effondrement?

Face à la catastrophe annoncée, deux courants émergent. Les décroissants qui prônent un changement radical de nos modes de vie pour éviter ce cataclysme et les collapsologues qui le pensent inévitable et qui prônent l’adaptation. Contrairement aux apparences, le premier courant est plus fermé que le second.

Ecologie : la décroissance face à l’effondrement.

Dans le prolongement d’une réflexion sur l’écologie qui s’est développée sur le site à travers divers articles ( écologie profonde, écologie superficielle, agencements, extinction de masse etc. ) il est intéressant d’examiner deux courants de pensée distincts et complémentaires, la nécessité de la décroissance et l’imminence d’un effondrement des sociétés humaines. Parmi les écologues, nombreux sont ceux qui envisagent la possibilité d’échapper à la sixième extinction de masse par la modification radicale de nos modes de production et de consommation. D’autres posent un effondrement inévitable des sociétés humaines même avec une transformation totale de nos façons de vivre, ce sont les « collapsologues ». Contrairement aux apparences les seconds laissent plus de place à l’incertitude que les premiers. Un examen attentif de quelques arguments peut confirmer cette hypothèse.

1. Une réévaluation de nos passions.

La possibilité de la décroissance, fondée sur la frugalité, la sobriété et la convivialité, exige, à bien des égards, une révolution anthropologique fondée sur la réévaluation de passions humaines qui, jusqu’à nos jours, ont guidé de nombreuses sociétés appartenant à des cultures, voire à des civilisations, différentes. On peut, à titre d’exemples, évoquer certaines passions qu’il faut impérativement tempérer ou modifier si l’on veut éviter la disparition du genre humain.

– La pulsion territoriale qui nous conduit à concevoir l’espace terrestre à travers des limites, des frontières, des appartenances séculaires ou millénaires, alors qu’il nous faudrait penser cet espace pour l’humanité toute entière.

– L’appétit de domination que nous ne cessons d’entretenir pour assujettir celles et ceux qui nous entourent afin d’éviter une interrogation sur nos actes et de parvenir à une domination de nous-mêmes.

– Le goût de l’égoïsme qui fait primer la défense de nos intérêts et ceux de nos proches avant toute autre considération, notamment celle de l’humanité. Pourtant seule la prise en compte du bien commun nous permettrait d’admettre et de comprendre que ce qui profite au genre humain sert chacun d’entre nous.

Sans tomber dans la naïveté d’une abolition de ces passions ou pulsions humaines il devrait être possible pour les tenants de la décroissance de les remodeler et de les combiner différemment, même si leurs formes varient grandement selon les sociétés et les cultures. Quoi qu’il advienne il s’agit de la seule « sortie de secours » pour reprendre l’expression de Yves Paccalet, philosophe et naturaliste qui défend la décroissance depuis plus de trente ans (Editions J’ai lu) Ce qui caractérise les tenants de la décroissance c’est la certitude d’une fin inexorable si les humains n’opèrent pas une véritable révolution dans leur manière de vivre globale (depuis l’alimentation jusqu’à l’exercice du pouvoir…) En cela ils sont les adversaires les plus résolus des « cornucopiens  » défenseurs invétérés du génie humain qui permettra, quelles que soient les situations, de trouver des solutions aux problèmes posés à l’humanité.

2. L’effondrement prévisible et l’avenir incertain.

On peut définir un effondrement selon les termes utilisés par le biologiste Jared Diamond (Effondrement Editions Gallimard) comme « la réduction drastique de la population humaine et/ou de la complexité politique/économique/sociale, sur une zone étendue et une durée importante. ».

Dans un effondrement on peut distinguer deux réalités distinctes.

– Les préconditions, souvent endogènes à la situation considérée comme la pauvreté, la diminution des ressources naturelles, la corruption… qui sont des facteurs de déclin et réduisent la résilience de la société.

– Les déclencheurs qui semblent plutôt des facteurs exogènes, rapides, comme les événements climatiques extrêmes, les crises économiques, les guerres… ils provoquent un effondrement s’ils sont précédés par certaines préconditions.

L’hypothèse d’un inévitable effondrement défendue par certains écologues ( Cf. Comment tout peut s’effondrer. Pablo Servigne/ Raphaël Stevens. Editions du Seuil. ) repose sur deux considérations majeures.

1. L’humanité se trouve devant une situation inextricable pour laquelle il n’existe aucune solution mais juste quelques mesures pour s’adapter à un choc profond et irréversible.

2. La décroissance est un programme de réduction graduelle et volontaire de nos consommations matérielles et énergétiques irréaliste. En effet un tel programme suppose que l’humanité soit capable de contrôler une contraction progressive du système global tout en maintenant un niveau de vie suffisant pour réaliser un tel contrôle.

Le doute exprimé sur toute mesure de transition progressive tient au fait que la situation devant laquelle se trouve le genre humain est inédite car elle concerne le caractère global de la civilisation industrielle, la simultanéité de plusieurs préconditions, déclencheurs, et les multiples interactions entre tous les facteurs. C’est pourquoi certains écologues appellent à concevoir une « collapsologie » qui soit à même de nous préparer à vivre un inévitable effondrement.

3. Le paradoxe de l’avenir.

Contrairement à ce que pourraient laisser penser les hypothèses respectives sur la décroissance et l’effondrement, la perspective de l’avenir apparaît plus fermée chez les défenseurs de la diminution progressive des consommations énergétiques et matérielles. Les tenants de la décroissance prédisent une catastrophe sûre et certaine s’il n’y a pas une modification radicale des modes de production et de consommation à l’échelle planétaire. La sixième extinction de masse devient sûre et certaine si les caractéristiques et la dynamique de l’Anthropocène, dont l’origine peut se situer au début de l’ère industrielle, ne sont pas abolies.

Malgré leur prévision funeste et le refus de mesures de transition jugées dérisoires, les annonciateurs de l’effondrement laissent incertaines les formes et les temporalités des chocs à venir. En raison de l’extrême complexité de la situation globale et des multiples facteurs et interactions qui la caractérisent , la notion d’effondrement conserve la possibilité de penser un avenir qui ne soit pas totalement maîtrisé. La détection des signes avant-coureurs de la catastrophe ne garantit pas que l’ensemble du système (économique, social, démographique, politique…) ne soit pas déjà passé dans un autre état, de plus ces signes avant-coureurs peuvent apparaître sans qu’ils soient suivis d’effondrements, lesquels peuvent survenir sans signaux préalables. Il existe donc une grande variété d’effondrements des systèmes qui empêche d’en déterminer avec certitude leur ampleur et leur forme.

L’opposition entre les partisans de la décroissance et les collapsologues oblige à reconsidérer notre rapport aux effondrements à venir et à réfléchir différemment, notamment en posant, selon l’expression de Jean Pierre Dupuy, la nécessité d’un « catastrophisme éclairé »(Editions du Seuil). A suivre.

Pour conclure :
L’idée de la décroissance ne nous laisse finalement peu de choix sur notre futur. L’adaptation prônée par les collapsologues, en raison des incertitudes, est plus ouverte sur les avenirs possibles. Et avec les défenseurs du génie humain, qui pensent que l’on trouvera toujours une solution (éventuellement sur Mars), nous voilà avec des approches différentes pour nourrir notre réflexion.

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