Inventé par le philosophe Norvégien Arne Naess, dans les années soixante-dix, le concept d’écologie profonde traduit un courant de pensée qui s’oppose aux partisans du productivisme et aux défenseurs d’une écologie modeste dont les solutions revêtent un caractère local, limité (voir à ce sujet l’article sur les agencements publié sur le site) dans l’espace et le temps. Issu d’une Ecosophie ce concept a suscité de nombreuses critiques en raison des ambiguïtés dont il est porteur. Pour mieux comprendre le sens accordé à l’écologie profonde par son inventeur et ses partisans, il est intéressant de mettre en lumière les traits qui la distinguent de l’écologie dite superficielle.
1.La loi face aux dispositifs.
1.1 La Nature et l’être humain.
Il est vain de vouloir séparer l’homme de la nature parce qu’il en fait partie et ne saurait s’en distinguer par des caractéristiques particulières. Cela vaut pour toutes les situations où il se trouve et pour toutes les actions qu’il effectue. L’indissociabilité de la nature et de l’être humain doit prévaloir dans les réflexions et projets entrepris par les individus et les communautés. Aussi les initiatives visant à réduire la dégradation d’un espace naturel ou à établir un meilleur équilibre des cultures par une irrigation contrôlée participent d’une écologie superficielle dès lors qu’elles se réalisent à petite échelle et avec des moyens techniques discutables. L’écologie profonde prétend s’attaquer aux racines profondes des problèmes qui menacent la vie sur terre tandis que l’écologie superficielle ne fait qu’atténuer ou retarder, par ses solutions locales et limitées, la dégradation de notre environnement. Le fait de considérer les besoins vitaux des écosystèmes et des autres espèces comme ceux des êtres humains conduit à déconsidérer les actions marquant une spécificité du genre humain.
1.2 Une morale inconditionnelle.
L’écologie profonde pose la nécessité d’une loi morale inconditionnelle bien qu’elle prétende ne pas développer une éthique et laisser les individus libres de trouver leur voie d’intégration par rapport au respect de la nature. Une loi morale inconditionnelle est liée à l’idée du bien et à la libre volonté des êtres humains. Elle tire sa force du fait qu’elle se justifie par elle-même, sans référence à des contraintes ou à des puissances extérieures. Son évidence a été développée par le philosophe Emmanuel Kant sous la forme de « l’impératif catégorique ». En posant l’idée que les lois écologiques déterminent la formation de la moralité humaine, l’écosophie d’Arne Naess et l’écologie profonde qui en découle, affirment l’existence d’un cadre moral indiscutable et indépassable pour le genre humain, s’il veut assurer sa survie. Un tel cadre est évidemment incompatible avec les agencements développés par certains écologistes où l’efficacité de l’action prévaut pour améliorer une situation environnementale. Les alliances passées avec des instances économiques, financières, juridiques… se légitiment en fonction de l’influence ou du pouvoir recherchés sur des acteurs socioprofessionnels dans un contexte d’action déterminé. Dans cette perspective le pragmatisme de l’écologie superficielle semble difficilement compatible avec les exigences éthiques de l’écologie profonde. Les bio-droits accordés par cette dernière aux espèces et aux paysages menacés résultent d’un cadre moral qui interdit toute interférence humaine.
2. Philosophie et Idéologie.
2.1 Une philosophie ambiguë.
L’écosophie veut être une philosophie peu contraignante en se fondant sur des intuitions et des termes généraux permettant à chacun se s’intégrer facilement dans un nouveau cadre anthropologique où l’homme et la nature ne font plus qu’un. Ce faisant Arne Naess prétend que l’on peut interpréter les systèmes philosophiques de différentes façons et qu’il vaut mieux laisser aux êtres humains une grande possibilité d’interprétation personnelle pour favoriser l’intuition que les parties de la nature sont des parties de nous-mêmes. Outre le fait que les systèmes philosophiques les plus développés, les plus construits, restreignent considérablement les versions que l’on peut en donner, l’absence de concepts précis pour l’écologie profonde peut générer de multiples confusions. En revanche une écologie superficielle qui s’attache à préserver la richesse des sols cultivables, dans une région donnée, va produire des idées pratiques qui, par induction et analogie, vont enrichir la réflexion sur les milieux naturels. Si l’on s’en tient à la définition désormais classique selon laquelle « Philosopher c’est créer des concepts », on doit admettre qu’à bien des égards l’écosophie ne remplit pas ce rôle, tout en prônant une transformation radicale de la condition humaine.
2.2 Une idéologie qui ne veut pas dire son nom.
On peut émettre l’hypothèse que l’écologie profonde est une idéologie si l’on accorde à ce terme la définition suivante : « Une pensée qui ne critique pas et qui ne pense pas sa propre provenance et son propre rapport à la réalité ». Les sommations de l’écologie profonde pour transformer radicalement les rapports de l’être humain à son environnement terrestre, les huit points de la plateforme traduisant les nécessités et les ambitions de ce mouvement sont autant d’affirmations dépourvues d’esprit critique. A l’inverse d’une écologie superficielle qui confronte ses idées et ses actions à une réalité limitée et résistante, l’écologie profonde assène des principes dont la validité et la pertinence ne sauraient être remises en question.