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Le Sens Commun vs les experts.

L’opposition entre le sens commun et la parole des experts semble encore plus forte lors des périodes de changements ou de mutations. Didier Naud nous éclaire sur quelques idées préconçues voire mythes.

La Défaite du Sens Commun.

Un désastre politique.

La tendance qui consiste à opposer continûment la parole des scientifiques et des experts aux opinions publiques est non seulement une source d’ignorance et d’aveuglement mais également un processus de manipulation des esprits. Cette tendance vaut aussi bien pour le traitement des questions environnementales que pour celles liées aux problèmes de la cognition humaine et sociale. Dans une majorité de situations il convient d’abord de poser la nécessité de clarifier le flou des mots et des concepts du langage courant afin de parvenir à une formulation correcte des sujets.

L’accessibilité et le partage.

Ce que l’on appelle communément le sens commun possède généralement trois caractéristiques. Il s’exprime dans le langage de la vie de tous les jours, il se partage dans les lieux multiples de la société, il se communique rapidement, sans entrave particulière. L’apparente simplicité du vocabulaire et de la syntaxe conduit souvent à considérer le langage du sens commun comme étant approximatif et imprécis. Certes le sens commun reflète une part de l’expérience vécue par les êtres humains mais il importe d’en montrer les limites et d’en dissiper les erreurs si l’on veut atteindre la véritable connaissance. Ce mépris du sens commun n’est pas nouveau mais il devient tragique dans une époque où la plupart des savoirs constitués et institués échouent lamentablement à trouver la moindre solution pour diminuer les périls qui menacent le genre humain. L’humilité des sciences n’est toujours pas de mise. Les neurosciences et les sciences sociales vont nous aider à mieux penser, à combattre nos biais cognitifs, les experts du climat et de la biodiversité vont nous indiquer les comportements à adopter, avec de fortes injonctions si nécessaire. Si cela n’est ni partagé, ni soutenu, c’est en raison de la fragilité et de la fugacité des opinions.

Un caractère récalcitrant.

A bien des égards, le sens commun se montre récalcitrant à la parole de ceux qui savent ou prétendent savoir Selon l’expression de la philosophe Isabelle Stengers, il constitue une véritable « rumination « qui paraît ignorer les avertissements, les ordres, les menaces des détenteurs de la connaissance. Pourtant le sens commun permet de partager des figures, des paysages qui témoignent d’une expérience dont on ne saurait faire l’économie si l’on veut comprendre quoi que ce soit à l’évolution des esprits et des comportements. Bref il s’agit d’appréhender pourquoi le sens commun ne se plie pas à la raison, pourquoi les affects et les perceptions qu’il porte possèdent une légitimité. Le sens commun affirme la valeur d’une expérience par rapport à toute prétention théorique qui viserait à la réduire.

Le Mythe de la Connaissance Pure.

De nombreux scientifiques et philosophes ont entretenu l’idée que la science permettait d’accéder à une connaissance rigoureuse, débarrassée de toutes les scories du sens commun et du langage ordinaire. Ils continuent, pour une partie d’entre eux à le faire, notamment lorsqu’il s’agit de réfléchir à l’écologie. Les arguments les plus éculés sur la soi-disant objectivité des procédures scientifiques pleuvent dès qu’il s’agit d’évaluer un danger ou une menace liés à la dégradation de l’environnement. Le mythe de la connaissance purifiée des approximations de l’opinion publique peut aller beaucoup plus loin. Il peut porter l’espérance d’une humanité pacifiée, réconciliée, par l’usage raisonné du langage et du savoir. Au vingtième siècle les Positivistes Logiques se sont illustrés dans cette voie en affirmant qu’avec le « Langage de la Science », les humains verraient disparaître la plupart de leurs querelles inutiles. Cela se poursuit au vingt et unième siècle où des neuroscientifiques prétendent modifier les fondements de l’apprentissage et libérer ainsi les jeunes esprits des travers et des biais cognitifs de leurs aînés. Toutes ces prétentions scientistes laissent pantois tant leur persistance n’a d’égale que leur imposture. Il n’y a pas et il n’y a jamais eu de connaissance scientifique libérée des approximations du sens commun et des préjugés idéologiques. Heureusement, pour celles et ceux préoccupés par les errements théoriques et pratiques des experts et des institutions, il existe des chercheurs de toute discipline, des philosophes, qui n’ont jamais cru une seconde à la fable de la connaissance objective. Il convient de s’y intéresser si l’on entend réfléchir autrement que dans les termes de l’opposition binaire entre science et non-science.

L’imagination.

La soumission à la parole scientifique restreint, dans une large mesure, les possibilités d’innovation, les capacités d’invention des individus et des collectifs. Cela se vérifie particulièrement en écologie où les remarques, les interrogations, de citoyens ou de groupes sociaux, sont régulièrement dévalorisées par rapport aux conclusions d’instances scientifiques de différente nature. Qu’il s’agisse de rapports de laboratoires ou de conclusions de groupes d’experts internationaux, les opinions du sens commun ne sont jamais prises en considération et font parfois l’objet de condamnations virulentes parce qu’elles portent atteinte au progrès ou à la survie de l’espèce. Pourtant se défaire du sens commun en écologie c’est faire fi de l’expérience vécue, de l’ensemble des initiatives empiriques, des perceptions ancrées dans les corps et les gestes. Même si des femmes et des hommes ont une vision approximative de certaines situations, ils n’en n’ont pas moins imaginé des solutions pour les comprendre, les maîtriser, les vivre. De telles approches ont le mérite d’avoir été partagées et, dans certains cas, d’avoir été couronnées de succès. Comme les approximations et les succès se formulent dans un langage courant que l’on ne peut reproduire dans des termes toujours précis, il ne saurait être question de leur accorder de l’importance, alors que l’on dispose de chiffres, de modèles mathématiques permettant des prévisions difficilement contestables. Ce qui est malheureusement négligé par les experts de l’écologie c’est l’incroyable richesse de la langue naturelle, son pouvoir générateur de représentations, la force de ses analogies qui sont au cœur de la pensée humaine. Autrement dit ce qui échappe à de nombreux spécialistes de l’écologie, scientifiques ou non, c’est l’imagination.

Les conséquences de toute énonciation.

Qu’il s’agisse des énoncés scientifiques ou de ceux du sens commun, au sens large du terme, la question de fond qui se trouve toujours posée est celle des conséquences. Toute forme d’énoncé, tout mode d’énonciation engendre des effets que l’on se doit d’observer, voire de prévoir. Les mots que l’être humain emploie ont le pouvoir de heurter, de scandaliser, de réduire au silence… Il n’y a pas de type d’énonciation qui puisse échapper aux effets sociaux, politiques, du langage, et ce n’est pas en se référant au mythe de la vérité que l’on peut s’abstraire des conséquences produites par tout énoncé. Il serait facile de montrer les résultats désastreux des multiples « héros de la vérité », dont certains ont appartenu et appartiennent à la « sphère de la science ». Aucun discours humain ne porte une transcendance qui le mettrait à l’abri des contraintes et des contingences qu’il engendre.

Chaque point de vue défendant l’idée que les énoncés défendus relèvent d’une transcendance implique que celui qui parle sait ce dont il parle, c’est à dire est lui-même en position de juge. La prise en considération du sens commun constitue une prise de recul par rapport à cette prétention de savoir et de juger. Cette prise en considération indique un usage des mots qui ne prétendent pas « dévoiler » la vérité ni de dénoncer les erreurs. C’est la vertu principale du langage du sens commun : la réhabilitation de l’approximation dans nombre de situations humaines.

 

Pour conclure :
Différents, le sens commun et paroles d’experts ne sont pas à opposer, ils se complètent pour une meilleure mise en perspective.

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